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" bî tchaude, bî blète, qu’èl bûre dèsglète "

Une histoire d'amitié et de goût.

Pour faire plus d’heureux, offrez plus d’un fromage !

Rappelons-le, la Târte al Djote est d’abord la symbiose parfaite de différents ingrédients dont deux, au moins, lui sont spécifiques : la bètchéye - fromage fermenté de vache - et les bettes - légume vert dont l’appellation ancienne, qu’on retrouve dans les « jottes » vendéennes, a donné son nom à la préparation : djote.

 

On faisait le commerce de fromage à Nivelles dès le XIIIème siècle, si l’on en croit les comptabilités de l’abbaye et des hôpitaux nivellois, lesquelles précisaient le cas échéant s’il était mou (« mol froumaige ») ou dur. Dans ce dernier cas, on avait affaire à un fromage d’importation, tels le gruyère, le hollande ou le parmesan, dont le commerce se pratiquait chez nous au Moyen Âge.

 

En revanche, le « mou » était vraisemblablement un fromage frais (de type maquée) ou un fromage fermenté, fabriqué dans le pays et consommé immédiatement en raison de sa courte durée de conservation.

 

Les « boulettes nivelloises », faites de fromage fermenté au tempérament capricieux - les fabricants actuels de la Târte al Djote savent ce que cela veut dire - devaient appartenir à cette seconde catégorie. On les consommait essentiellement sur place.

 

Des mentions apparaissent çà et là, notamment dans un compte de l’Epier (grange aux grains du Chapitre) daté de 1425. De semblables fromages étaient offerts au Magistrat de la Ville et aux membres du Chapitre et des Hospices, notamment lors de la fête du « Katamayî », commémorant la consécration de la collégiale en 1046, que notre confrérie remet à l’honneur. On sait aussi qu’ils furent présentés sur la table de la reine de France lors d’un voyage dans nos régions en 1544. Bref, à Nivelles, on aimait ce qui était bon et on appréciait la diversité.

 

Tourte ou tarte, that’s the question ?

Quant à la Târte al Djote, c’est un peu la bouteille à encre ! On note régulièrement, dans les archives nivelloises du Moyen Âge, les mentions de « tarte au fromage ». Mais s’agit-il de djote ? On a cru trouver la preuve irréfutable de son ancienneté dans un texte fameux, daté de 1218, relatant l’arbitrage ayant mis fin à une querelle entre l’abbesse de Nivelles et son Chapitre, au motif que la première refusait au second ses gratifications habituelles. Hélas ! Il n’en est rien. Dans ce texte, comme dans bien d’autres, il n’est point mention de bettes ! Ces gratifications consistaient en réalité en « tourtes » au fromage, joliment appelées dans le texte latin placentae, littéralement « enveloppes », de pâte en l’occurrence. L’arbitrage en décréta, une fois pour toutes, la forme, la contenance et le contenu précis.

Paris et Nivelles, même combat ...

Le débat resterait sur le tapis strictement nivellois si le célèbre « Viandier » de Paris, « le » livre de recettes du XIVème siècle, ne donnait celle d’une « tarte au fromage et aux bettes ». Enfer et damnation ! Notre djote ne serait donc pas unique ? Rassurons-nous, la recette de cette tarte « parisienne » s’écarte fort de la nôtre. Mais elle montre qu’une telle alliance - fromage et bettes - n’avait rien de saugrenu. Lisez plutôt :

 

« Prenez quatre poignées de bettes, deux poignées de persil, une de cerfeuil, un brin de fenouil et deux poignées d’épinards. Lavez-les dans l’eau froide et hachez menu. Broyez un fromage mou et un fromage moyen avec des oeufs entiers. Mélangez le tout et broyez au mortier. Ajoutez de la poudre fine, c’est-à-dire girofle, cannelle, gingembre et sucre. Râpez par-dessus du vieux fromage et enfournez. Faites-en une tarte que vous mangerez chaude ».

 

Bon appétit, aurait-on pu ajouter ! Comparaison n’est pas raison, mais si Paris pouvait imaginer une tarte aux bettes et au fromage, Nivelles pouvait sans doute le faire aussi ... D’autant que l’usage des bettes était assez répandu chez nous au Moyen Âge, entre autres pour confectionner la « poirée », une soupe roborative.

 

Si le Moyen Âge considérait les bettes comme rustiques, il lui reconnaissait pourtant des valeurs diététiques et thérapeutiques. C’est la Renaissance qui devait les remettre à l’honneur, au même titre que d’autres cardes, jets de houblon ou « verdures », à partir de variétés améliorées provenant de potagers italiens, d’où le nom générique de Beta Romana.

Une AOC avant la lettre

Si le texte de 1218 ne mentionne pas de bettes, son intérêt s’avère néanmoins considérable. S’il n’est question de djote au sens où on l’entend aujourd’hui, cette « tourte » fut l’objet d’une codification impérieuse (ainsi, les oeufs devaient être brisés dans la pâte par une personne « à la réputation incontestée ») qui définissait une sorte d’AOC (appellation d’origine contrôlée) ou de label de qualité avant la lettre !

 

Nos ancêtres ne badinaient point avec la qualité de l’alimentation. Les labels actuels de la Confrérîye perpétuent ce souci, en incitant et conseillant les fabricants à s’inspirer d’une recette de djote patentée, que vous pouvez trouver sur ce site. En ce sens, le texte de 1218 peut donc apparaître comme le ferment d’une bien belle tradition.

Le régal des bistrotiers

Mets rustique, c’est sans doute dans le courant du XIXème siècle que la djote accède à la notoriété à Nivelles et dans ses environs. L’influence française et l’émergence de la bourgeoisie favorisent la multiplication des restaurants et des auberges. A l’image de la « Verte Tarte » à Monstreux, nombre d’établissements se mettent à proposer tartes et doubles, se plaisant à rivaliser de superlatifs, chacun affirmant être le seul héritier légitime d’une tradition authentiquement ancestrale.

 

Ainsi, dès après 1918, le « Restaurant des Alliés », situé face au kiosque de la Grand-Place, s’affiche comme « la plus ancienne maison reconnue pour les délicieuses târtes al djote et au fromage ». Chacun peut y déguster ses spécialités gastronomiques, doubles, oye (pied de porc à la nivelloise) et, bien sûr, la Târte al Djote à déguster religieusement, « bî tchaude, bî blète, qu’èl bûre dèsglète » (bien chaude, bien mûre, que le beurre dégouline). En se rappelant, fort à propos, qu’à Nivelles, « on n’a jamé strôné avè du bûre » (on n’a jamais étranglé avec du beurre).

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